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Prévoir demain : les enjeux d'une maison plus facile à vivre

Temps de lecture : 3 min

Une maison plus facile à vivre

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Serge Guérin est Sociologue et Professeur au groupe Inseec où il dirige le MSc Directeur des établissements de santé, spécialiste dans le vieillissement de la population, il nous parle des enjeux d'une maison plus facile à vivre, qui s'adapte aux besoins de chacun, selon les phases de la vie.

Si je vous dis Habitat, ça vous évoque quoi ?

Il faut habiter et il faut s’habiter. Ces deux notions sont essentielles. On ne peut pas avoir un équilibre de vie sur un territoire si on n’habite pas et si on ne s’habite pas soi-même, si on n’a pas de lieu d’ancrage. Il nous faut une double frontière. Contrairement au discours dominant qui parle d’abolir les frontières, nous en avons besoin. Tout d’abord pour avoir un lieu d’intimité, d’autonomie, où l’on peut vivre sa vie en toute discrétion. Il s’agit là d’une première frontière. La seconde, c’est celle d’un lieu où l’on reçoit, mais qui délimite un territoire dans lequel on se sent en phase. De même, on a besoin d’habiter un pays, une nation. Il faut aussi faire vivre son territoire.

Enfin, il faut avoir conscience que s’il y a aujourd’hui 21 métropoles en France, 60% de la population vit à l’extérieur de ces métropoles. Ce n’est pas un détail.

En quoi l’Histoire influence-t-elle notre manière de vivre l’intérieur ?

Pour parler de notre Histoire la plus récente, plus l’insécurité est forte, quelle soit réelle ou ressentie, plus mon chez moi doit être un lieu dans lequel je me sens en sécurité.

Après la Seconde Guerre Mondiale, les populations qui ont le plus souffert ont investi des métiers qui leur permettaient de pouvoir partir sur le champ. Il leur fallait trouver des métiers qui permettent cette mobilité après ce qu’elles avaient vécu. D’où leur propension à encourager leurs enfants à devenir médecins, avocats. La notion de sécurité ici était liée à celle du nomadisme possible.

L’Histoire et les mouvements de l’Histoire sont la plupart du temps tragiques, et liés à l’économie. Dans le discours idéologique actuel, l’idée de nomadisme est très prégnant. On valorise le locataire qui n’est pas enraciné. Mais pour se sentir posé, et avoir des racines, il faut au contraire encourager la propriété et l’accès à celle-ci. Se sentir ancré, ou ayant au moins la possibilité de l’être, permet la projection. Tout le monde n’est pas fait pour s’adapter n’importe où. On a tous une capacité d’adaptation en fonction de l’environnement dans lequel on né, on est, on a tous des limites, bien qu’elles ne soient pas les mêmes pour tous.

Sans compter que la propriété dans les métropoles devient de plus en plus inaccessible. Les métropoles sont trop chères alors on s’en éloigne, ce qui peut générer un sentiment d’échec même en cas de réussite, voire de déracinement forcé par la gentrification.

En quoi notre histoire personnelle influence-t-elle notre manière de vivre à l’intérieur ?

Les phases de la vie personnelle, qu’elles soient faites de ruptures ou non, violentes ou pas, supposent, si on le peut, d’avoir un habitat qui puisse s’adapter. Pouvoir pousser les murs ou les déplacer quand un enfant arrive, ou alors déménager pour avoir plus grand, et donc s’éloigner, ne demande pas la même démarche ni la même énergie. Plus tard, l’enfant, lui aussi en proie aux affres économiques, peut avoir besoin de revenir, ou encore, un aidant, pour cause de maladie, peut avoir besoin de s’installer au domicile du malade.

L’idéal serait de disposer de lieux de vie poreux aux modes et aux histoires de vie, ce qui n’est pas toujours chose aisée. Certaines césures sont très fortes, comme une séparation au sein d’un couple. Cela réduit les revenus, et donc souvent la surface de l’habitat. Ce dernier est un miroir de la situation des personnes et signale assez bien les tensions internes à l'histoire de chacun. Une famille recomposée qui passe de deux à six enfants par exemple, ce n’est pas rien, et cela impose une restructuration globale de l’espace de vie. D’autant plus qu’aujourd’hui, la fracture est plus forte, avant la hausse des prix était plus lente.

Comment définiriez-vous une maison facile à vivre ?

Une maison facile à vivre ne concerne pas seulement la maison, mais tout ce qu’il y a autour également : elle doit être facile d’accès, soit par les systèmes de transports, soit grâce à un stationnement aisé. Les services publics qui entourent le lieu de vie sont eux aussi importants : école, collège, hôpitaux… Ce sont aussi eux qui font monter les prix.

C’est évidemment une maison dans laquelle on se sent bien et qui pose le moins de problèmes domestiques possibles, comme une toiture à refaire par exemple. Ce n’est pas pour rien qu’on dit « avoir un toit ». Il faut aussi que chaque personne qui vit dans cette maison puisse trouver son équilibre, qu’elle dispose d’espaces d’intimité, mais aussi de lieux communs, d’échanges, de coopérations, de partages. On l’a vu avec les cuisines, qui avant été cachées, et qui sont aujourd’hui plus souvent ouvertes sur l’espace de vie.

Nous avons atteint un degré de confort comme jamais auparavant. Nous sommes plus chanceux que les générations précédentes. La vie d'un jeune de 1918 n’est pas celle d'un jeune de 2018. Il est important de le rappeler et d’en avoir conscience.

De plus, l’espérance de vie a elle aussi un impact considérable sur les paramètres à prendre en compte dans l’habitat.

Un mot sur la modularité ?

Ce qui est intéressant avec la modularité, c’est que sans bouger, elle permet de s’adapter aux évolutions de la vie et des modes de vie. Elle peut être d’un grand secours en cas de déficit d’autonomie par exemple, ou quand un enfant arrive, part ou revient. Nos vies sont plus modulaires qu’elles ne le furent et cela doit être pris en compte.

En outre, il existe de plus en plus de colocations pour raison économique. Or, on n’a pas forcément envie de tout partager avec un colocataire.

Il existe des réponses intéressantes à ces changements sociétaux, y compris sur des volumes limités. Il faut pouvoir créer de la souplesse. C’est ce que j’appelle de l’intimité à géométrie variable.

Sur l’accessibilité ?

L’accessibilité, c’est le pendant de la modularité. Il est difficile d’avoir un monde de plain pied. D’autant plus que ce n’est pas la panacée non plus. Il suffit d’imaginer l’infirmière qui doit faire des kilomètres en campagne entre deux maisons de plain pied et celle qui aura juste à descendre trois étages entre deux patients pour le comprendre. Il y a aussi un intérêt évident à vivre dans des immeubles. Ne serait-ce que socialement parlant. Et puis tant que nous sommes valides, les étages permettent l’exercice aussi, il ne faut pas oublier que c’est important.

Maintenant, évidemment, il faut prendre en compte le vieillissement de la population. Privilégier les douches plutôt que les baignoires, par exemple. Envisager des solutions qui peuvent être installer facilement en cas de perte d’autonomie, mais qui ne sont pas pérennes tant que ça va. Le préventif n’induit pas forcément d’installer partout, mais de pouvoir installer facilement au cas où.

L’accessibilité par rapport à l’habitat, c’est aussi le service, ce dont je dispose « à portée de main », comme une salle de sport, une conciergerie, la possibilité de ranger mon vélo etc… C’est aussi la qualité du service public, évoqué précédemment et qui a généralement un prix.

Sur la domotique ?

Cela fait déjà 30 ans qu'on en parle. C’est très présent dans le discours : ce fameux mythe de la technologie qui va nous sauver. Alors qu’elle ne prend pas toujours en compte l’aspect cognitif et économique. Bien sûr, les progrès technologiques peuvent améliorer la vie et la rendre plus facile. Mais finalement notre désir de technologie ne va pas aussi vite que l’avancée technologique en elle-même.

De plus, on aime que notre maison corresponde à ce que nous sommes. On y apporte notre touche personnelle. Or dans la technologie il y a un aspect dessaisissement. Il y a un aspect intime dans notre rapport à l’habitat que la technologie peut avoir tendance à désincarner.

Et puis c’est parfois trop compliqué, il faut mémoriser trop de choses pour que cela puisse être considéré comme un vrai gain de temps. Sans oublier le besoin d’exercice de chacun. Si c’est la machine qui fait tout, le corps s’ankylose.

La notion de maîtrise, aussi, est essentielle. La technologie peut avoir un effet sur la liberté individuelle. Il y a parfois des problèmes de fiabilité, le risque de panne fait peur, sans parler du coût et du rapport sur investissement perçu. Il suffit de voir le succès modeste de la télé-alarme, bien en deçà de qui avait été envisagé.

Cela dit, en termes de prévention, la domotique peut avoir un vrai rôle à jouer, mais elle doit être d’usage, simplifiée et faire intervenir le design thinking pour être adaptée aux besoins. Par exemple avoir de la lumière quand on se lève au beau milieu de la nuit c’est loin d’être inutile, de même les sols anti-dérapants ont un véritable intérêt. Il faut une domotique suffisamment intelligente qui reste simple et non intrusive.

En conclusion, si une maison plus facile à vivre doit s'adapter aux besoins de ses occupants aujourd'hui, elle doit aussi prendre en compte les changements de demain. Il n'est pas forcément évident d'anticiper, mais certains facteurs de la société actuelle peuvent nous donner les clés de ce qui sera utile pour nous et la collectivité d'ici quelques années.

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